De Squaresoft à Square-Enix: la lente renaissance (2012–2021)

Florian Falcucci
21 min readJul 21, 2021

Alors que Final Fantasy XIV est en pleine refonte et que Versus XIII doit subir de multitudes changements de game design en attendant de lancer son développement, Square-Enix est en pleine mutation. Son intérêt pour le jeu occidental grandit (rachat de Eidos) et sa restructuration technologique après plusieurs échecs témoigne d’une reconsidération de l’importance du développement au détriment de certains créateurs, pour se sortir d’un certain conservatisme japonais. Retour sur la période où Square-Enix va peu à peu revenir sur le devant de la scène, non sans sacrifier un certain Final Fantasy XV sur l’autel du profit financier.

Artwork de Final Fantasy XIV: A Realm Reborn

2012: A Realm Reborn

Si Square-Enix est un éditeur qui doit répondre à des obligations financières, quitte à lisser tout exercice de communication pour contrôler la moindre information interne avec sa fanbase, Naoki Yoshida fera tout l’inverse pour cette révision de Final Fantasy XIV. Estimant à juste titre avoir perdu la confiance de la communauté, il n’hésitera pas à communiquer ouvertement pendant la reconstruction du quatorzième épisode, afin d’être le plus transparent possible. Il lancera notamment Les Lettres du Producteur, une émission spéciale où il donnera régulièrement des nouvelles du développement tout en répondant à certaines questions. Il montrera des images en développement, présentera l’équipe de développement en les laissant s’exprimer et n’hésitera pas à revenir sur l’échec de la première version. Un véritable plébiscité pour la transparence qui n’a pas vraiment plu à Square-Enix dans les premiers temps, mais l’a finalement accepté avec les retours positifs des joueurs. Une exception qui aurait dû être la norme dans la pratique éditoriale de la société.

Look dev de la refonte de Final Fantasy XIV

Au sein de Square-Enix les projets s’enchaînent mais avec une certaine prudence pour éviter d’autres échecs commerciaux. Si le Crystal Tools a permis de se rentabiliser avec Final Fantasy XIII-2, le studio tirera sur la corde pour faire une autre suite, Lighting Returns, et ainsi clôturer l’arc scénaristique autour de l’héroïne du treizième épisode. Un moyen comme un autre de stabiliser les revenus sur la licence Final Fantasy, alors même que Final Fantasy XIII n’est pas spécialement l’épisode le plus apprécié par les fans. Mais Wada préfère miser sur des projets éprouvés (FFXIII) ou en cours de réhabilitation (FFXIV). En coulisses, Tetsuya Nomura, réalisateur sur Versus XIII ronge son frein, acculé par ses propres ambitions et les priorités de Square-Enix.

Même s’il peut profiter de la licence Kingdom Hearts pour compenser ses envies de réalisation, notamment avec une foule de spin-offs comme Dream Drop Distance, Tetsuya Nomura devient de plus en plus intenable, obligé de déclarer en interview que le projet Versus XIII était encore en développement tout en gardant secret que ses équipes étaient en soutien sur d’autres jeux plus urgents. C’est d’autant plus frustrant que le long trailer de 2011 avait enfin montré quelques séquences de gameplay. Une gageure, vu que le projet a toujours montré que des séquences pré-calculées. Mais les longs mois à ruminer lui laissent largement le temps de penser et repenser au projet, quitte à reprendre certains éléments de zéro, encore une fois. Le jeu fait toujours rêver les fans, Nomura garde toujours la flamme, et c’est probablement pour ça que Versus XIII ne fut pas annulé alors qu’il avait toutes les raisons de l’être.

Première séquence de Versus XIII

C’est dans cette période que Square-Enix va peu à peu faire évoluer sa structure au sein des équipes. Rappelez-vous, Versus XIII a d’abord été pensé pour la Playstation 2, et l’un des problèmes majeurs de l’éditeur, c’est de prioriser la vision des artistes au détriment de la technique. Ce qui pouvait marcher à une époque ne marche plus à l’ère des nouvelles technologies et l’ambition de Versus XIII et de Nomura influe constamment sur les équipes de développement qui doivent se plier à des exigences changeantes. En 2012, le Crystal Tools est dépassé, le Luminous n’est pas opérationnel mais sera le moteur des futurs jeux de la firme. La génération PS3/360 arrive à son terme et il faut déjà penser à la suivante. Vu l’état d’avancée de Versus XIII il est compliqué de continuer le développement sur Playstation 3, et surtout, l’appellation “XIII” ne fait plus trop sens: Final Fantasy XIII formait déjà une trilogie et Agito XIII s’était transformé en Type-0. L’idée de transformer Versus XIII en un épisode numéroté a toujours été envisagé, mais cette période de transition est peut-être le moment idéal. Mais hors de question que le projet subisse encore des réflexions évasives et Wada choisit de récupérer Hajime Tabata, ancien réalisateur sur Type-0, pour seconder Nomura en tant que co-réalisateur.

Intégrer Tabata dans la réalisation avait surtout pour objectif de canaliser l’énergie créatrice et conceptuelle de Nomura pour éviter les changements incessants. Pour véritablement relancer le développement, il a fallu remettre à plat tout ce qui a été fait, établir enfin le concept final, faire le tri avant de s’arrêter sur une structure globale définitive, le tout en six mois. En janvier 2013, le projet fut validée, et en février 2013, la production put réellement démarrer, avec des équipes complètes. Si Versus XIII existait depuis sept ans, on peut considérer que le véritable développement commence seulement à partir d‘ici. A l’E3 de cette année, en juin 2013, Square-Enix peut alors annoncer officiellement la mort de Versus XIII et l’existence de Final Fantasy XV.

Le jeu fut annoncé via deux vidéos, dont l’une d’elles marquera définitivement la mue du projet en modifiant le logo Versus XIII en Final Fantasy XV. Le trailer donne enfin l’impression que le jeu est lancé sur de bons rails, alternant des séquences narratives avec des morceaux de gameplay. Des séquences qui ne sont en fait que du target render: des images non jouables mais donnant une idée de ce à quoi pouvait ressembler le jeu, étant donné que le développement venait tout juste de commencer. Une séquence réalisée par Visual Works, qui avait déjà la main dans des scènes temps réel grâce à la démo Agni’s Philosophy. Mais une autre démo jouable fut montrée, plus honnête, débutant sur un contexte narratif très proche de la toute première vidéo de Versus XIII, avant de montrer du véritable gameplay histoire de rassurer les fans qui attendent avant tout un jeu tourné vers l’action.

En interne, le développement rencontrait déjà un problème qui venait, comme on pouvait s’en douter, du moteur graphique. Comme à l’époque du Crystal Tools, le Luminous Studio était prometteur mais loin d’être prêt. Par peur de se retrouver avec des projets en attente faute d’un moteur en perpétuel développement, une décision radicale a été prise: si Final Fantasy XV continuerait son chemin sur le Luminous Studio, les projets parallèles seront produits sur l’Unreal Engine 4. Un moteur clé en main, bien mieux traduits que la précédente version: autant d’arguments qui permettront à Square-Enix d’assurer la production d’un certain Kingdom Hearts 3 en même temps que celui de Final Fantasy XV.

Toujours dans l’optique de rattraper le retard sur la production occidentale, la création d’un monde ouvert pour Final Fantasy XV fut longuement débattue. Tabata était persuadé qu’il fallait se lancer dans de grands environnements ouverts, pour concurrencer les jeux open world qui cartonnaient dans le monde. La licence Final Fantasy n’était plus vraiment une saga inconnue, et il n’était pas question de développer un tel épisode pour qu’il plaise uniquement au public nippon. Mais l’équipe de développement de FFXV affirmaient qu’il fallait garder une structure linéaire comme Final Fantasy XIII. Une structure qui lui avait valu bon nombre de critiques, surtout après des épisodes précédents qui offraient une world map pour plus de liberté. Finalement, Tabata eu gain de cause: Final Fantasy XV sera en monde ouvert.

Premiers designs pour la fine équipe

Ce ne seront pas les seuls chamboulements de Square-Enix à cette époque. En mars 2013 le PDG Yoîchi Wada annonça des pertes astronomiques pour Square-Enix. FFXIV: A Realm Reborn n’était pas encore sorti et les ventes des suites de Final Fantasy XIII étaient loin d’être suffisantes. Il fut remplacé par Yôsuke Matsuda qui prit la décision en décembre 2013 de refondre entièrement l’organisation des équipes de développement de Square-Enix. Historiquement divisé en départements de productions pour regrouper plusieurs projets au même endroit, il décida de tout fragmenter en divisions commerciales selon les supports et les médias (jeux mobiles, grosses productions, titres portables) afin de concentrer les efforts des différentes technologies et ne pas s’éparpiller. Et l’une des victimes de ces grands chamboulements fut Tetsuya Nomura.

Screen du premier trailer de Versus XIII

2014: Episode Duscae

Alors que la production de Final Fantasy XV avançait à bonne allure, le PDG Matsuda considérait que la présence de Nomura n’était plus nécessaire: il avait apporté tout l’aspect conceptuel sur le jeu et pouvait maintenant laisser Tabata reprendre le flambeau pour continuer le développement. Evidemment, cette décision n’était pas innocente: Matsuda savait qu’en laissant Nomura à la barre il pouvait revenir sur de grosses décisions de game design qui ferait prendre du retard au développement. L’autre raison venait de Kingdom Hearts 3: le jeu allait démarrer sa production, et la saga est indissociable de Nomura. Et c’est aussi en 2013 que l’idée d’un certain remake de Final Fantasy VII germa au sein de Square-Enix. Une pure décision hiérarchique donc, qui n’a clairement pas plu à Nomura et fut un sujet très délicat à éviter pendant les futures interviews autour de Final Fantasy XV.

Si Square-Enix réussit à prendre conscience des réalités techniques pour livrer des jeux de qualité, c’est également au prix d’une remise en question de la pérennité de ses créateurs. Nomura était l’un des derniers réalisateurs avec une vision forte qui garantissait l’identité de l’entreprise. Certes, c’était très souvent au détriment de ses équipes, puisque selon son point de vue, c’était les développeurs qui devaient s’adapter à sa vision et non l’inverse. Il devenait difficile de trouver des créateurs capables d’avoir leur propre vision tout en ayant en tête les limites technologique de son équipe. Une logique d’écoute de sa communauté qu’a bien compris Yoshida sur Final Fantasy XIV, qui n’hésitera pas à approfondir l’histoire et la narration au sein même du MMORPG mais jamais au détriment de la technique. Selon lui, les deux doivent s’équilibrer et même créer une synergie pour que le narratif influe sur le gameplay et inversement.

En mars 2014, Yoshida fut invité au GDC pour raconter tout son impressionnant travail de réhabilitation sur Final Fantasy XIV. Sorti en 2013, A Realm Reborn fut une véritable renaissance pour ce quatorzième épisode. La formule d’abonnement fut laissée de côté quelque temps, histoire de faire revenir les joueurs et de les laisser constater par eux-mêmes que le jeu n’avait plus rien à voir. Un énorme succès surprise, qui rassura Square-Enix et dût même interrompre les ventes pour ne pas surcharger les serveurs lors du lancement. Yoshida persévéra dans sa transparence totale et n’hésita pas durant la GDC à revenir sur les erreurs internes, sur l’échec de cette première version et sur toute l’expérience qu’ils ont pu en tirer. Une étonnante mise en avant d’un fiasco annoncé alors qu’au même moment, Square-Enix camouflait autant que possible l’éviction de Nomura sur FFXV. Yoshida reviendra sur l’obnubilation absurde des équipes sur la puissance graphique de la première version, quitte à mettre autant de polygones sur un pot de fleurs que sur un personnage.

Yoshida explique aussi à quel point l’industrie du jeu vidéo s’est perdu quand l’ambition des jeux a explosé: alors qu’il suffisait d’un seul maître à bord pour réussir à créer un jeu, ce schéma n’est plus possible car un créateur aussi doué soit-il n’a pas toutes les capacités techniques ni le savoir pour comprendre jusqu’où son ambition peut l’emmener. Un travail avec les développeurs est nécessaire, tout comme l’obligation de trouver des personnes bien plus technique pour maîtriser les outils et en tirer le meilleur. Ceci explique beaucoup la faiblesse des productions nipponnes de l’époque, et en particulier celles de Square-Enix.

Screen issu du GDC de Yoshida sur FFXIV

Yoshida continue sur la refonte de la première version pour “réparer” Final Fantasy XIV, jusqu’à reconstruire le jeu du début. Il a fallu changer l’organisation au sein de l’équipe, prendre certaines décisions primordiales mais aussi déléguer des considérations techniques à des gens spécialisés dans le MMORPG. Des décisions qui paraissent logiques, mais ça ne l’était pas pour le Square-Enix de l’époque, voulant à tout prix garder le contrôle du projet tout en réinventant la roue à chaque fois. Il explique aussi que le travail pour retrouver la confiance sur le jeu est d’abord passé par l’amélioration du Final Fantasy XIV original, afin de tester certaines nouvelles fonctionnalités mais aussi rassurer ceux qui avaient payé les pots cassés. A Realm Reborn fut réalisé en deux ans et huit mois, et Final Fantasy XIV pu enfin démarrer sa nouvelle vie, symbolisé par un événement cataclysmique au sein même de l’univers pour redémarrer sur de nouvelles bases mais sans oublier ce qui a été construit auparavant.

Il est clair que le miracle Final Fantasy XIV a eu du bon dans la restructuration de Square-Enix, avec de lourdes conséquences. L’épisode online était sur de bons rails, tout en assurant un rendement régulier grâce aux futures extensions et à l’abonnement payant. Mais pas question de faire d’autres erreurs. Après l’éviction de Nomura et l’officialisation de Tabata au titre de réalisateur, il était évident que les ambitions premières de Nomura autour de Versus XIII allaient être revus à la baisse. Exit la trilogie prévue à l’origine, Final Fantasy XV sera un épisode unique, de sorte à ne pas reproduire le schéma de Final Fantasy XIII et ses suites, produites avant tout pour remplir les caisses et rentabiliser le Crystal Tools. Tabata prit en compte les erreurs de cet épisode en particulier, de sorte à ne pas les reproduire. Tout comme Yoshida sur FFXIV, Tabata dût remettre à plat l’organisation des équipes pour tenir le délai annoncé (le jeu était prévu pour fin 2016) et éviter l’embourbement technologique qu’a subi Square-Enix sur ses précédents projets. Mais ce changement de méthode fut plus radicale, car au contraire de Yoshida qui prônait l’écoute avec sa communauté pour faire évoluer le jeu en temps réel, Tabata ne pouvait se reposer que sur son équipe sans vraiment de retours de la communauté (l’une des raisons de la création des futures démos jouables). La communication était primordiale mais il était hors de question de laisser des développeurs sur des éléments inutiles qui ralentiraient le développement. Yoshida avait le temps de peaufiner FFXIV, mais Tabata jouait contre le temps et devait endosser le rôle de chef d’équipe aux décisions parfois radicales. Il n’hésita pas à organiser des séminaires pour souder des équipes, mais aussi comprendre l’état d’esprit que pourraient éprouver les joueurs pendant l’aventure de ce quinzième épisode: un road-trip où la camaraderie et l’entraide ont du sens.

Première séquence de FFXV

Comme tout bon développement de longue haleine, beaucoup de séquences présentés jusqu’ici n’avaient plus vraiment leur place et étaient purement et simplement supprimés. On pense à l’attaque d’Insomnia avant que Noctis et sa bande ne s’échappe, qui sera simplement racontée hors champ pendant leur road trip. Le monde ouvert devient de plus en plus la priorité, au détriment de la narration qui sera rajoutée au chausse-pied afin de terminer l’histoire (ce qui explique cette coupure franche lorsque l’on prend le fameux bateau). Très vite, il fut décidé de multiplier les projets autour du titre sur différents médias pour appâter le plus de gens possible. C’est comme ça qu’est né Kingslaive: Final Fantasy XV, film en images de synthèse chapeauté par le réalisateur d’Advent Children, qui aura la tâche de raconter certains événements que l’on ne voit pas pendant le jeu. Sur le papier, l’idée est plutôt maligne: une nouvelle vision pour apporter de la richesse à l’univers et approfondir certains personnages, mais l’histoire de FFXV est tellement éclatée que le film donnera l’impression de combler les nombreux trous du jeu original. Et comme un film ne se réalise pas en un claquement de doigts, il a fallu faire appel à beaucoup de studios extérieurs, comme Digic Pictures ou Unit Image pour réaliser les différentes séquences.

La démo Duscae fut assez vite programmée. Elle permet de rassurer les joueurs en leur donnant un aperçu jouable tout en récoltant leurs impressions pour corriger les erreurs avant la sortie. Une stratégie plutôt payante qui sera souvent utilisée plus tard par Square-Enix pour prendre la température sur des projets lointains. Tabata réussit à convaincre Matsuda de se servir de la remasterisation de Final Fantasy Type-0 pour proposer la démo en bonus (d’une pierre deux coups). Comme souvent avec ce genre d’initiative, il fallait mettre l’équipe du Luminous sous pression pour que le moteur tienne la route et ne pas flouer les joueurs. En septembre 2014, Square-Enix annonce l’arrivée de cette démo et en profite même pour dévoiler une nouvelle vidéo. Ce fut l’occasion de montrer des premiers éléments concrets du jeu, notamment sur la partie du monde ouvert (Final Fantasy XV: Overture) mais aussi d’officialiser Tabata en tant qu’unique réalisateur. Il fallait gagner la confiance de sa communauté, et tout comme Final Fantasy XIV, la communication devait être régulière et transparente. Tabata instaura les Active Time Report, des sessions vidéos régulières où il peut discuter avec les équipes de développement tout en montrant régulièrement des images.

Episode Duscae

La réception de Duscae fut mitigée, entre les joueurs agréablement surpris de voguer dans un monde ouvert pour la première fois dans un Final Fantasy, et ceux qui pointaient des soucis techniques alarmants, que ce soit sur des bugs de caméras alarmants ou simplement un framerate cahoteux et un aliasing prononcé. Tout retour fut très profitable aux équipes, qui ont pu améliorer le jeu et même mettre à jour la démo afin de voir que les retours des joueurs étaient entendu. La campagne de communication battait son plein, Final Fantasy XV enchaînait les présentations, même si les joueurs avertis voyaient que le jeu se distinguait de plus en plus des premières images de Versus XIII, signe d’un développement chaotique. Le projet représentait un budget important pour Square-Enix. Il fallait donc maximiser l’impact du jeu sur le grand public mais au lieu de se concentrer la qualité de l’expérience de jeu, Square-Enix se servit de sa restructuration en départements commerciaux pour inonder ce nouvel univers de produits dérivés.

Final Fantasy XV

2016: Royal Edition

Alors que la licence tente de retrouver le cœur des fans, Square-Enix ne veut plus d’un nouvel échec et Versus XIII/Final Fantasy XV est un jeu qui a traîné sur la longueur sans rapporter vraiment d’argent. Il fallait rentabiliser ce développement au long terme tout en donnant un aperçu de l’univers à tous les publics possibles pour appâter le chaland. La société multiplie alors les œuvres dérivées, forçant le trait pour exploiter l’univers de la même façon qu’un certain Compilation of Final Fantasy VII dix ans plus tôt. Outre le film Kingslaive qui sort sur toutes les plate-formes de VOD, on a également droit à Brotherhood: Final Fantasy XV, une petite série d’animation narrant une partie de l’histoire du jeu tout en revenant sur les backstorys de la bande à Noctis.

Dans un souci d’offrir un aperçu à tout le monde, Square-Enix sort également Platinum Demo, un aperçu jouable offrant des séquences inédites à l’aventure principale histoire de pousser les joueurs à tester pour ne rien louper. Mais il faut occuper tous les terrains possibles et Final Fantasy XV tapera dans tous les râteliers. La VR sur PS4 se démocratise ? Square-Enix dégaine Monster of the Deep: Final Fantasy XV, jeu de pêche en réalité virtuelle. On a besoin de plus de précommandes ? Offrons A King’s Tale pour les plus pressés, sorte de RPG rétro faisant office de préquelle à l’histoire. Même le mini-jeu de flipper de FFXV, Justice Monster V, aura droit à sa version smartphone pour couvrir tous les terrains, en plus de A New Empire, jeu de stratégie lui aussi sur smartphone. Une armada absurde de spin-offs autour d’un seul et même jeu, sans compter les partenariats qui n’ont plus rien de subtiles comme Cup Noodle à la fois dans une publicité et pendant l’une des quêtes du jeu. Le pinnacle de ce tsunami mercantile viendra de certaines associations avec d’autres jeux vidéos qui n’ont rien à voir. On pense à ce partenariat avec Assassin’s Creed où la ville de Lestallum se transformait en terrain de jeu, revêtant le costume de la saga d’Ubisoft pour l’occasion, ou encore de costumes Half-Life pour l’arrivée du titre sur Steam ou Les Sims 4 sur Origin. Des associations purement mercantiles ruinant toujours un peu plus la cohérence d’un univers qui ne demandait qu’à fonctionner en circuit fermé.

Le partenariat avec les Sims 4

Ce n’est pas la première fois que Square-Enix s’égare quelque peu quand il s’agit de communiquer sur ses projets. On trouve pêle-mêle de l’héroïne de Final Fantasy XIII posant pour Louis Vuitton avec interview (?) du personnage à l’appui, une association avec Ariana Grande pour le jeu mobile Final Fantasy Brave Exvius et l’intégrer dans le roster des personnages ou encore cette curieuse mais apparemment réussie série Dad of Light sur Final Fantasy XIV mélangeant séquence live et images du jeu autour d’un fils adulte faisant jouer son père pour renouer des liens avec le paternel. Final Fantasy XV ne déroge pas à la règle mais pousse plus loin le nombre d’étrangetés, jusqu’à un point de non-retour où l’on sent une surexploitation d’un titre qui n’a même pas commencé à vivre dans la tête des joueurs. Même les joueurs mobiles auront droit à leur version de Final Fantasy XV avec la Pocket Edition.

Difficile de dire si cette multitude de projets dérivés témoigne de la peur d’un échec commercial. Tabata affirme dans les interviews que cette profusion a été réfléchie en amont pour apporter encore plus de profondeur, mais vu l’état du jeu à sa sortie et de ses nombreuses coupes assez évidentes, on est en droit de se poser la question. L’investissement est énorme, il faut limiter les risques, et la production du jeu subit une véritable pression pour ne pas échouer une nouvelle fois. En interview, Tabata le reconnaît: il est difficile de s’abroger des traditions qui traînent sur la licence depuis plusieurs décennies tout en justifiant malgré tout l’appellation “Final Fantasy”. Comment moderniser constamment une licence alors qu’elle est elle-même la base des RPG japonais modernes ? Dragon Quest est toujours resté dans un canevas assez traditionnel, alors que Final Fantasy a toujours suivi une forme de modernité et d’adaptation, en tout cas à l’époque de la PsOne. Final Fantasy XV devait renouer avec le succès mais sans fermer la porte aux nouveaux joueurs.

Ceci explique pourquoi Final Fantasy XV bénéficia d’un suivi sur les années suivant sa sortie en 2016, à tel point qu’il eut le droit à une Royal Edition, contenant tout les contenus supplémentaires sortis jusque-là. Une édition complète finalement raccord avec ce qui se fait chez les concurrents, dans une époque où un jeu ne se contente plus de son contenu original. Mais hormis un mode Comrades pour amener du multijoueur à ceux qui le souhaitaient, les DLC narratifs sortis à la suite du jeu ont surtout servi à corriger l’un des plus gros problèmes du jeu: remplir les trous scénaristiques béants. Les joueurs de Final Fantasy XV le savent, il y a une vraie coupure à un moment de l’histoire, donnant une impression amère de passages manquants ou finalisés un peu trop vite. Le fameux chapitre XIII notamment, qui bénéficiera de scènes et d’explications supplémentaires suite aux nombreux retours des joueurs. Final Fantasy XV a été charcuté dès le départ pour que le titre se vende sur le long terme, et les DLCs des copains de Noctis sont la preuve que l’histoire fut explosée afin de vendre toujours plus de contenu supplémentaire. Ils remplissent des trous béants dans l’histoire qui auraient clairement dû se trouver dans le jeu de base.

Screenshot de Final Fantasy XV

Final Fantasy XV devient une fable découpée en morceaux, où l’on devine la trame principale mais sans la profondeur des personnages qui ne se découvre qu’en achetant du contenu supplémentaire. Un comble pour une licence qui a toujours marqué les esprit par ses personnages emblématiques et qui perd cet aspect à cause d’une pratique mercantile douteuse. Même le gameplay ne convaincra pas tout le monde. Mais le contrat est rempli: grâce à un matraquage mercantile assommant et une présence publicitaire hallucinante, Final Fantasy XV est un succès. Un succès forcé et fabriqué, tant Square-Enix a tout misé dessus au détriment de la qualité du jeu. Mais Square-Enix avait déjà une autre carte dans sa manche. Alors que Final Fantasy XV sortait en novembre 2016, accusant quelques mois de retard, le fameux remake de Final Fantasy VII fut annoncé à l’E3 2015 durant une conférence Sony d’anthologie.

Après l’éviction de Nomura de Final Fantasy XV, et alors même qu’il était affilié à la réalisation de Kingdom Hearts 3, il apprend par l’intermédiaire d’une vidéo de présentation interne qu’il serait en charge de la réalisation du remake de Final Fantasy VII, et non Kitase, le réalisateur original. Il était difficile de refuser, même s’il sait très bien l’attente monumentale qu’il y aura autour de ce projet. Hors de question de se contenter d’un remake peu onéreux, et l’ambition fut revu à la hausse: il fut décidé de repenser entièrement le titre pour l’adapter au gameplay moderne et donner toute l’ampleur indispensable pour faire revivre ce mythe du jeu vidéo. Le système de combat fut entièrement revu, prenant racine dans le système de Dissida: Final Fantasy, tandis que les designs des personnages s’éloignent d’Advent Children pour être repensés par Nomura lui-même.

Et alors que la question technologique devient de plus en plus importante chez Square-Enix, il a été jugé préférable de se tourner vers l’Unreal Engine 4 plutôt que le Luminous. Nomura s’est déjà fait la main sur le moteur pendant la production de Kingdom Hearts 3, et le choix devenait évident. Comme sur les précédentes productions, le développement de Final Fantasy XV n’était pas achevé quand celui de FFVII Remake a débuté, il a donc été jugé préférable d’utiliser un moteur efficace et facile à utiliser, surtout pour un jeu aussi attendu que celui-ci. Mieux encore: afin de distinguer les productions et leur moteur affilié, Luminous Productions fut crée. Un studio externe, travaillant de concert avec Square-Enix, et reprenant les ressources et certains employés ayant travaillé sur Final Fantasy XV. L’idée était de segmenter ces équipes des autres pour qu’ils puissent avoir une certaine indépendance et travailler sur de futurs projets qui ne seraient pas forcément liés aux licences Square-Enix. Final Fantasy VII Remake resterait donc chez Square-Enix sur l’Unreal Engine 4, tandis que Luminous Productions plancherait sur un tout nouveau jeu: le futur Forspoken.

Artwork pour Final Fantasy VII Remake

La question de séparer Final Fantasy VII Remake en plusieurs parties a été délicate en interne, puisqu’elle peut être interprété comme une manière de faire plus de profits avec plusieurs jeux plutôt qu’un seul. Il serait naïf de croire que cela n’a pas pesé sur la balance, mais on comprend également, vu l’ampleur du projet, que diviser Final Fantasy VII permet de se libérer de certaines contraintes et d’aller explorer une nouvelle approche pour surprendre les joueurs. On n’échappe pas à l’allongement artificiel de certains pans narratifs pour étendre la durée de vie, mais l’histoire est suffisamment bien fichu pour faire de ce premier volet une histoire complète qui pourra plaire aux nouveaux venus.

A la sortie de Final Fantasy VII Remake en 2020, Square-Enix n’aura pas noyé les joueurs sous une multitude de produits dérivés, restant plutôt raisonnable. On se doute que la situation sanitaire y a été pour quelque chose, mais peut-être que cela a permis à Square-Enix de se rendre compte que l’aura légendaire de Final Fantasy VII est l’atout principal pour garantir un succès commercial. Le jeu est de qualité, et même s’il aura pu frustrer les joueurs avides de l’aventure complète, nul doute que les bénéfices ont fait du bien à la société japonaise.

Artwork issu de Final Fantasy XVI

2021: Intergrade

Si Square-Enix a bien compris une chose, c’est le pouvoir de ses licences. S’il peut compter sur Eidos et toute une ribambelle de marques fortes (notamment Marvel avec Avengers, avec le relatif succès qu’on lui connaît), les jeux développés en interne sont clairement orientés vers une exploitation de licences. Un constat certes un peu triste, mais on sent que Square-Enix s’ouvre peu à peu vers de nouvelles choses, et le futur Forspoken pourrait représenter le premier pas dans ce sens.

En attendant, il faudra se contenter d’une alternance entre des remakes et remasters plus ou moins heureux (le retour de la série des Mana ou l’arrivée des anciens Final Fantasy) ou des tentatives vers des genres inédits sans néanmoins perdre leur image de marque, comme ce Stranger of Paradise: Final Fantasy Origin qui vient titiller les fans de Dark Souls. Mais la société persévère dans la discussion avec sa communauté en leur laissant la possibilité de faire des retours très tôt dans le développement via des démos jouables. Cela permet de vérifier si la direction prise est la bonne, en notant le retour des joueurs pour ne pas se retrouver à développer à l’aveugle. Même constat pour Project Triangle Strategy, RPG à l’ancienne dont le nom n’est même pas définitif, mais qui bénéficie déjà d’une démo pour améliorer le jeu en profondeur. Une bonne manière d’être à l’écoute de son public pour ses projets les plus risqués; sans non plus abandonner les projets faciles, il ne faut pas se le cacher.

Et Final Fantasy XIV dans tout ça ? Les extensions sont arrivées les unes après les autres, et Yoshida a crée un véritable univers qui a marqué une génération de joueurs, parvenant à amener de la narration au sein d’un MMORPG sur plusieurs années. Il s’est attiré une véritable sympathie auprès des fans et Square-Enix l’a bien compris: ce sera lui aux commandes du futur Final Fantasy XVI. Une information rassurante, qui n’augure que du bon et qui sera peut-être le véritable héritier de l’âge d’or des Final Fantasy. Réponse dans quelques années.

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Florian Falcucci

CG Supervisor at Cube Creative and occasionally writer of long (long) story